Jésus commença depuis lors à déclarer à ses disciples qu’il fallait qu’il allât à Jérusalem, qu’il souffrît beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, qu’il fût mis à mort et qu’il ressuscitât le troisième jour (Mt 16, 21).
Des questions légitimes
Le problème de la souffrance est un des grands défis de l’existence humaine, spécialement pour le croyant. Les énormes progrès des sciences et de la médecine n’ont pas vaincu la souffrance et la maladie. Le mal moral reste parfois un mystère et face à lui nous faisons l’expérience de notre impuissance, de nos limites et de notre finitude. Grande est la souffrance des couples qui se découvrent stériles. Que pourrais-tu me donner, demande Abram à Dieu ? Je m’en vais sans enfant (Gn 15,2). Fais-moi avoir aussi des enfants ou je meurs ! crie Rachel à son mari Jacob (Gn 30,1).
Le croyant frappé par la souffrance est souvent tourmenté par une foule de questions : Pourquoi Dieu nous fait-il souffrir ? Si ce n’est pas lui qui a créé la souffrance, d’où vient-elle ? Est-elle voulue ou permise par Dieu ? Est-elle une conséquence du péché ? Mais alors, Dieu serait-il impuissant devant ce mal que l’homme aurait introduit dans le monde ? Faut-il lutter contre la souffrance, ou au contraire la rechercher ? Quel sens un chrétien peut-il lui donner ? Quelle lumière Jésus-Christ est-il venu apporter à propos de la souffrance ? La souffrance de l’innocent nous interpelle encore plus : peut-on avoir foi en Dieu dans un monde où des enfants sont torturés ? Si Dieu est bon, comment peut-il permettre la souffrance des innocents ? Paul Ricœur (philosophe protestant, 1913-2005) relevait bien l’équation à laquelle conduit la présence du mal et de la souffrance dans le monde : « Comment peut-on affirmer ensemble, sans contradiction, les trois propositions suivantes : Dieu est tout-puissant ; Dieu est absolument bon ; pourtant le mal (et la souffrance) existe ».
Un travail d’enfantement
Le Catéchisme de l’Église Catholique essaie d’exprimer la raison de la présence du mal physique et de la souffrance dans le monde. Ce mal résulte premièrement d’un univers en croissance, en état d’enfantement. Pourquoi Dieu n’a-t-il pas créé un monde aussi parfait qu’aucun mal ne puisse y exister ? Dans sa toute-puissance, Dieu pourrait toujours créer quelque chose de meilleur. Cependant, dans sa sagesse et sa bonté infinies, Dieu a voulu créer un monde « en état de cheminement » vers sa perfection ultime. Considérant l’homme comme un ami, Dieu l’a fait co-créateur de ce monde en croissance, collaborateur de cette œuvre progressive. Toute l’évolution du monde jusqu’à son accomplissement est comme un long accouchement, œuvre commune de Dieu et de l’homme créé à son image et à sa ressemblance, ainsi que le dit St Paul, « toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement » (Rm 8, 22).
La souffrance due au mal physique est un fait inhérent à notre monde en croissance. Elle n’est pas voulue directement par Dieu en tant que telle, ni conséquence du péché. Elle est permise indirectement, c’est-à-dire intégrée par le Créateur dans un projet d’ensemble qui part d’un état rudimentaire pour aller vers un achèvement, vers une plénitude. Quant à la présence du mal moral, cause de tant de souffrances, il reste lié à la liberté de l’homme, ou plutôt au mauvais usage de la liberté humaine. Dieu a fait alliance avec l’homme qui de ce fait est coactionnaire du projet de Dieu. La transgression de l’interdit dont était marqué l’arbre de la connaissance du bien et du mal est à l’origine d’un monde blessé et la souffrance en est la conséquence
Jésus face à la souffrance
Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera (Mt 16,24-25). Notre monde est un monde de lutte. L’égoïsme et le péché tiennent de solides bastions dans le cœur de l’homme et dans la société. L’amour du Christ n’a vaincu le péché et la haine qu’en allant jusqu’au bout, jusqu’à la mort, et la mort par la croix. Ainsi, la résurrection du Christ marque le triomphe de l’amour ; mais le chemin qui y mène passe par la croix.
Paul Claudel affirme que Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est même pas venu pour l’expliquer. Il est venu pour la remplir de sa présence. Il est venu la vivre avec nous, à nos côtés. Il s’est fait solidaire de nos souffrances. Il est même venu les prendre sur lui. Par rapport au lien entre la souffrance et le mal commis, Jésus confirme que la souffrance n’est pas forcément une conséquence directe des fautes humaines. Devant l’aveugle de naissance, Jésus affirme que « Ni lui, ni ses parents n’ont péché, mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui (Jn 9, 2-3). Il ne niera pourtant pas tout lien entre la souffrance et le mal moral : Te voilà guéri ; ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pire (Jn 5, 14). Jésus lui-même endurera les pires tourments, lui la victime innocente par excellence de la malice des hommes.
La faiblesse victorieuse de Dieu
La foi en Dieu le Père Tout-puissant peut-être mise à l’épreuve par l’expérience du mal et de la souffrance. Parfois Dieu peut sembler absent et incapable d’empêcher le mal. Or, Dieu le Père a révélé sa toute-puissance de la façon la plus mystérieuse dans l’abaissement volontaire et dans la Résurrection de son Fils, par lesquelles il a vaincu le mal. Ainsi, le Christ crucifié est « puissance de Dieu et sagesse de Dieu (1Co 1,24). C’est dans la Résurrection et dans l’exaltation du Christ que le Père a « déployé la vigueur de sa force » et manifesté « quelle extraordinaire grandeur revêt sa puissance pour nous les croyants » (CEC 272-273).
Dieu est infiniment bon et toutes ses œuvres sont bonnes. Cependant, personne n’échappe à l’expérience de la souffrance. Cette souffrance, séquelle du péché originel, reçoit un sens nouveau : elle devient participation à l’œuvre salvifique de Jésus.
Jésus éclaire nos souffrances
La souffrance endurée par Jésus est un abîme dont aucun être humain ne peut sonder ni imaginer toute la profondeur. La souffrance du Christ est la conséquence du péché des hommes. Jésus accepte la croix comme expression de toute sa puissance d’amour pour les pécheurs. En Jésus la vie se fait sacrifice, don de soi, amour plus fort que la mort. Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. Si l’on m’a persécuté, on vous persécutera vous aussi » (Jn 15,20). La vie chrétienne se déploie sous le signe de la croix et de la résurrection. Pas plus que la souffrance, la croix n’a de signification par elle-même ; c’est l’amour qui lui donne sens : « Il faut que le monde sache que j’aime mon Père, et que je fais tout ce que mon Père m’a commandé » (Jn 14,31), dit Jésus à la veille de sa mort. A la suite du Christ, le baptême nous introduit dans ce mystère de mort et de résurrection.
Fr. Jean Philipe DIOUF
Communauté Saint Jean